samedi 1 août 2009

L’accès à l’eau potable : un droit inaliénable confronté à la question du financement

Par Fabien Dupuis, diplômé de l’IPRIS, doctorant spécialisé sur la géopolitique de l’eau.


Selon l’OMS, 1,1 milliard d’individus soit 17 % de la population mondiale n’avaient pas accès à l’eau potable en 2002. Chaque année 1,8 million d’enfants meurent des suites d’une pathologie liée à la consommation d’une eau insalubre. Pour y remédier, l’exigence définie dans les Objectifs du Millénaire (ODM) consiste en la réduction de moitié du nombre de personnes n’ayant pas accès à une eau potable d’ici à 2015. Cela représente 900 millions de personnes.

Dans son rapport mondial sur le développement humain en 2006, le PNUD estime que les ODM en matière d’eau sont sur le point d’être réalisés. Ce constat très global cache de grandes disparités. L’Afrique subsaharienne n’atteindrait l’objectif qu’en 2040. Dans cette région le nombre d’habitants privés d’accès à l’eau potable a augmenté de 60 millions depuis 1990. 


Le droit à l’eau est clairement implicite dans le droit à un niveau de vie suffisant et le droit de toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale susceptible d’être atteint. Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels en 1966 est garant de ce droit. 


Eu égard aux difficultés d’application de ce texte, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels du Conseil économique et social des Nations unies décida d’interpréter le droit à l’eau dans son Observation générale n°15, adoptée le 26 novembre 2002. Cette Observation générale liste un certain nombre de recommandations pour mettre en œuvre le droit à l’accès à une eau en quantité et en qualité suffisante. 


Dans la partie introductive de l’Observation générale, il est stipulé que « le droit à l’eau consiste en un approvisionnement suffisant, physiquement accessible et à un coût abordable, d’une eau salubre et de qualité acceptable pour les usages personnels et domestiques de chacun ». « Le droit à l’eau est indispensable pour mener une vie décente. Il est une condition préalable à la réalisation des autres droits de l’homme ». 


Si la notion d’approvisionnement en eau varie en fonction des situations, principalement entre les zones rurales et urbaines, trois facteurs restent tout de même pertinents quelles que soient les circonstances : la disponibilité, la qualité, et l’accessibilité.

 L’eau, pour chaque personne, doit être accessible en qualité et en quantité suffisante pour les « usages personnels et domestiques » (la consommation, l’assainissement individuel, le lavage du linge, la préparation des aliments ainsi que l’hygiène personnelle et domestique). 
 L’eau nécessaire pour chaque « usage personnel et domestique » doit être salubre et donc exempte de risque pour la santé. En outre, l’eau doit avoir une couleur, une odeur et un goût acceptables. 
 L’accessibilité comporte deux dimensions principales. L’eau ainsi que les installations et services adéquats doivent être physiquement accessibles sans danger pour toutes les couches de la population. Chacun doit avoir accès à une eau salubre, de qualité acceptable et en quantité suffisante au foyer ou à proximité immédiate, dans les établissements d’enseignement et sur le lieu de travail, ou à proximité immédiate. L’eau, les installations et les services doivent être d’un coût abordable pour tous. 


Le Pacte prévoit, également, la réalisation progressive du droit à une eau salubre en imposant aux États diverses obligations à effet immédiat. La principale obligation des Etats parties au regard du droit à l’eau consiste à prendre des mesures concrètes visant progressivement au plein exercice de ce droit, et ce en utilisant le maximum de leurs ressources disponibles, quelles soient humaines et administratives, législatives et financières. 


Par exemple, les États doivent s’abstenir dans tous les cas d’imposer à un autre pays des mesures empêchant l’approvisionnement en eau. Par ailleurs, la coopération internationale requiert des États qu’ils s’abstiennent de mener des actions qui entravent, directement ou indirectement, l’exercice du droit à l’eau dans d’autres pays. 


Certains Etats, comme c’est le cas en Uruguay, garantissent le droit à l’accès à une eau salubre en quantité et en qualité suffisante comme un droit constitutionnel (article 47). 


« Les préconisations énoncées dans l’observation mettent en exergue : l’élaboration, la mise en œuvre et le suivi des stratégies, de la législation et des politiques sur l’eau ; L’identification d’indicateurs et de critères permettant d’assurer le suivi de la mise en oeuvre du droit à l’eau ; Tout particulier ou tout groupe dont le droit à l’eau a été enfreint doit avoir accès à des recours effectifs, judiciaires ou autres, à l’échelle nationale et internationale ». 


Enfin, la dernière partie de l’Observation générale met l’accent sur les obligations notamment des institutions internationales. En effet, les Nations unies, l’Organisation internationale du travail, l’OMS, le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et les ONG doivent coopérer efficacement avec les États en mettant à profit leurs compétences respectives pour faciliter la mise en œuvre et assurer la protection et la promotion du droit à l’eau. 


Selon Ricardo Petrella, 24 pays d’Afrique sont incapables de fournir de l’eau potable à l’ensemble de la population. Outre des questions de volonté politique, se pose par conséquent la question du financement des infrastructures. 


Pour y parvenir, les États sont souvent contraints de répercuter sur les usagers la plupart des coûts liés à la fourniture des services. Or, l’eau doit avoir un coût suffisamment abordable pour ne pas empêcher une personne de jouir de ses autres droits fondamentaux. C’est pourquoi, il est nécessaire d’encourager les usagers à participer à la gestion de l’eau dans la mesure de leurs moyens financiers et de prévoir des incitations à l’économie d’eau. Cependant, tout ce que représente le secteur de l’eau en termes d’investissement est très élevé. Le conseil Mondial de l’eau a évalué le chiffre nécessaire à 100 milliards de dollars par an pendant vingt-cinq pour fournir l’eau et les services d’assainissement à ceux qui en ont besoin. 


Si la date de 2015 est maintenue, Alain Mathys, tout comme la Banque mondiale, évaluent l’investissement à 180 milliards de dollars par an pour atteindre les ODM (alors qu’il est aujourd’hui à 80). 


Il va de soi qu’outre l’investissement dans la mise en place de réseau d’assainissement et de réseau de distribution d’eau potable pour améliorer la desserte, l’accessibilité et les normes, les opérateurs, qu’ils soient publics ou privés, doivent prendre en compte les coûts liés à l’entretien des réseaux. Cela représente un coût supplémentaire, par rapport à la simple réalisation de l’objectif n° 7. Entre 1995 et 2005, le gouvernement brésilien, devant l’urgence et afin d’éviter la situation rencontrée à Buenos Aires, décida d’étendre les réseaux de transport, de distribution et de construire de nouvelles centrales de production pour un coût global de 64 milliards de dollars. La capitale de l’Argentine dénombrait, dans les années 90, 11 millions d’habitants. Or la situation était devenue critique : le réseau ne pouvait alimenter que 6 millions d’habitants et n’avait pas été amélioré depuis la Seconde Guerre mondiale ; le réseau d’épuration des effluents domestiques et industriels était inexistant. Seule une station d’épuration d’une capacité de fonctionnement pour l’équivalent de 300 000 habitants existait. 


L’effort financier à porter est inégal selon les régions. En Afrique subsaharienne, il est trois fois supérieur à celui mené en Asie du Sud, en Amérique Latine, ou au Moyen-Orient, alors que le revenu de l’Etat et des habitants est largement plus faible. Cela signifie que pour 320 millions d’africains, les investissements additionnels sont estimés à 3,4 milliards de dollars, alors que les pays d’Afrique ne disposent que de 2,2 milliards de dollars. 


C’est pourquoi la Banque Mondiale estime que 300 milliards de dollars seront nécessaires pour atteindre les Objectifs du Millénaire dans le souci de créer, d’étendre et de réhabiliter les réseaux d’eau.

source : Affaires stratégiques

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