lundi 15 octobre 2007

Le président de l'Equateur critique les ODM

Alors que les objectifs du millénaire sont inégalement atteints selon les endroits de la planète, certain commencent à critiquer le principe même de la démarche des OMD. Il s’agit, en substance, de critiquer l’aspect « minimaliste » de ces enjeux, et le risque de s’en contenter avec, en plus, une bonne conscience satisfaite. Le président équatorien fait partie de ces critiques, et s’est fait entendre dans un long discours à l’ONU. Bien que ne partageant pas cette vision, nous vous proposons de prendre connaissance de ses arguments et éventuellement de partager vos réactions avec nous.

Discours du président Rafael CORREA à l’Assemblée générale
des Nations unies à New York le 26 septembre 2007:

LIMITES DES «OBJECTIFS DU MILLENAIRE»

Aujourd'hui, depuis qu’un gouvernement a proclamé en Équateur une révolution citoyenne, démocratique, éthique et nationaliste, nous souhaitons proposer quelques réflexions critiques sur le concept même des OMD, sur leurs limites et sur les dangers qu'impliquent des agendas minimalistes de cette nature, surtout face aux profondes asymétries sociales et économiques que vit la planète.

La première limite des OMD est qu'ils constituent une stratégie minimaliste pour réduire la pauvreté. Notre but est d'aller bien au delà de tels minima, en approfondissant les objectifs et en en y incorporant de nombreux autres. Le fait de se rallier de manière exclusive à une optique de besoins minimums, comme celle que posent les OMD, implique un haut risque qui, tout en cherchant à satisfaire les consciences, limite les aspirations au changement social.

Ainsi, nous pouvons affirmer qu'il existe deux niveaux qui nous permettent de caractériser la vie des personnes. Le premier a trait aux capacités indispensables des êtres humains pour subsister au sein de la société, capacités sans lesquelles une vie ne mérite pas d’être qualifiée d'humaine. Le second niveau se réfère aux capacités qui permettent à chacun de se réaliser en tant que personne dans cette société. Nous ne parlons donc pas seulement de subsistance, mais du droit de jouir d'une vie digne d'être vécue.

NON AUX OBJECTIFS MINIMALISTES

Monsieur le Président, Excellences :
Nous pensons qu'avoir pour but de vivre avec un dollar plus un centime par jour de sorte à, soi disant, vaincre l'extrême pauvreté, ou éviter de mourir prématurément, comme cela figure dans les OMD, ne permet pas de mener une vie décente.

Le développement de politiques publiques dans un pays qui aspire à un changement radical, comme c'est le cas de l'Equateur, ne peut se contenter d'atteindre des objectifs minimalistes. Bien sûr, éviter la mort prématurée de garçons et de filles ou de femmes lors de l'accouchement, est un objectif incontestable. Cependant, en ne nous centrant que sur cela, nous courons le risque de nous contenter du fait que la vie humaine soit simplement un processus de résistance visant à prolonger de quelques heures l'existence des personnes.

OBJECTIFS COMMUNS SUR DES MAXIMA SOCIAUX

Par conséquent, nous proposons des objectifs communs non seulement sur des minima de vie mais sur des maxima sociaux. Par exemple, nous considérons qu'il est possible de partager des identités diverses, de construire et de récupérer des espaces publics, de garantir l'accès à la justice, d'avoir un emploi qui garantisse le droit à gagner sa vie, d'avoir du temps pour la méditation, la création artistique et le loisir, des objectifs qui se trouvent déjà dans le Plan National de Développement mis en vigueur par le gouvernement équatorien.

Nous renonçons ainsi à l'idée selon laquelle le présent est une pure fatalité historique face à laquelle nous nous soumettons en ne cherchant à satisfaire que des minima clairement élémentaires.

De plus, le fait de se contenter de ces minima suppose également la légitimation de la réalité que nous vivons, puisque de tels minima ne cherchent pas à remettre en cause les écarts ni les relations de pouvoir existants entre les sujets et entre les sociétés. En ce sens, nous plaidons également en faveur de la reconnaissance d'une dignité égale pour tous les êtres humains.

Accorder à certaines personnes des minima doit être, tout au plus, un objectif transitoire et ne doit jamais être considéré comme un modus operandi de la politique publique, du fait que cela suppose de situer le «bénéficiaire» dans une position d'infériorité face aux autres. En d'autres termes, cela suppose de ne pas reconnaître son droit égal à la dignité humaine face aux autres. De fait, ce n'est pas un hasard si des bureaucraties internationales comme la Banque mondiale proposent systématiquement de fournir des rapports sur la pauvreté (“poverty reports”) sans que jamais il ne leur soit venu à l'esprit de réaliser des rapports sur les inégalités (“inequality reports”).

C'est pour cela que la meilleure stratégie de réduction de la pauvreté dans la dignité est sans doute la réduction des écarts sociaux, économiques, territoriaux, environnementaux et culturels. De cette façon, un des objectifs principaux de notre gouvernement est de diminuer les inégalités dans le cadre d'un développement endogène, d'inclusion économique et de cohésion sociale et territoriale, aussi bien au niveau interne qu'au niveau global.

DROITS HUMAINS ET VALEURS UNIVERSELLES CONTRE PROGRAMMES SOCIAUX QUI FRAGMENTENT LA SOCIETE

Dans le même sens, nous cherchons à réaliser en Equateur le règne des droits humains et des valeurs universelles. Au contraire, ce que la longue et triste nuit néolibérale préconisait, dans une perspective d'assistance et de compensation des conséquences de l'absolutisme du marché, ce sont des programmes sociaux qui ont fragmenté la société en autant de parties qu'il existe de groupes sociaux.

Cependant, un projet national et un changement des rapports de force au sein d'une société ne signifient pas une addition de fragments qui voudraient, par le hasard du destin, acquérir du sens et de la cohérence et se compléter comme les parties d'un puzzle, même si nous ne disposons pas de toutes les pièces qui le composent

Il est indispensable d'élaborer un projet partagé, qui doit être en constante redéfinition, et qui ait justement pour objectif que tous, nous souhaitions y prendre part. Pour cela, nous avons élaboré en Équateur le Plan National de Développement de façon démocratique, parce nous pensons que sans la participation de tous aux décisions fondamentales de la société, aucun pays ne pourra légitimer et rendre ses décisions politiques plus efficaces.

Il s'agit en définitive de modifier une pratique politique appliquée par les secteurs traditionnels, avec leur technocratie et leur élitisme, pour rendre la parole et l'action à ceux qui doivent être les maîtres, les protagonistes et les bénéficiaires des politiques publiques.

De plus, je souhaiterais signaler que les OMD souffrent d'une vision du développement attachée à des critères de consommation et à une stratégie liée aux processus de libéralisation économique.

Notre vision du développement est très différente : nous entendons par développement le bien être de tous, en paix et en harmonie avec la nature, et la prolongation infinie des cultures humaines.

PROPOSITION EQUATORIENNE POUR LA REDUCTION DU CO2: LAISSER LE PETROLE EN TERRE

En ce sens, il nous plaît qu'au sein de cette Assemblée, soient largement débattus les effets dévastateurs et injustes du changement climatique. L'Equateur a fait une proposition concrète et novatrice pour contribuer à la réduction de l'émission de CO2 et à la conservation de la biodiversité avec notre projet Yasuní-ITT.

L'initiative pose l'engagement de ne pas exploiter environ 920 millions de barils de pétrole et d’éviter ainsi l'émission de près de 111 millions de tonnes de carbone provenant de l’utilisation de combustibles fossiles.

Cependant, cela impliquerait de ne plus recevoir des investissements pour ce projet et un manque à gagner de près de 720 millions de dollars par an, ce qui est très significatif pour l'économie équatorienne. Nous sommes disposés à faire cet immense sacrifice, mais en demandant la co-responsabilité de la communauté internationale (surtout les pays développés, principaux prédateurs de la planète) et une compensation minimale pour les biens environnementaux que nous générons.

Ce serait un extraordinaire exemple d'action collective mondiale (passer de la rhétorique aux faits concrets, à la pratique) qui permettrait non seulement de réduire le réchauffement mondial pour le bénéfice de toute la planète mais également d'inaugurer une nouvelle logique économique pour le XXIème siècle, où l’on prend en compte la création de valeur d’usage plutôt que la production de marchandises.

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