mercredi 24 février 2010

L’eau de mer comme solution pour tous ? L’exemple de l’Algérie

Le Docteur Fabien DUPUIS, diplômé de l’IPRIS, spécialisé sur la géopolitique de l’eau revient sur l’alternative du dessalement pour faire face aux situations de rareté de la ressource dans certains pays.

Selon Antoine Frérot, Directeur général de Veolia Water :
« Le dessalement est un enjeu stratégique pour Veolia Environnement. Il représente une ressource alternative qui apporte des réponses aux besoins en eau à court et à long terme » .

« Le marché du dessalement de l’eau de mer va exploser dans les années à venir »

, explique Jean-Louis Chaussade directeur général de Suez Environnement .
72% de la surface totale de la terre est recouverte d’eau, dont 97% est salée. Les 3% d’eau douce qui restent sont inégalement répartis : 10 pays se partagent 60% des réserves, alors que 29 autres essentiellement en Afrique et au Moyen Orient font régulièrement face à des pénuries.
Bien qu’un peu moins de 1% de l’eau potable consommée dans le monde soit produite à partir du dessalement, les perspectives offertes par cette technologie sont inexorablement grandissantes. En effet, 40 % de la population mondiale vit à moins de 70 kilomètres d’une côte, soit la zone d’utilisation raisonnable du dessalement. Par ailleurs, sur 70 villes de plus d’un million d’habitants sans accès direct à des ressources supplémentaires en eau douce, 42 sont situées en bordure de côtes . Avec plus de 17 000 unités de production d’eau potable, soit 51 millions de m3/jour d’eau produite, la production d’eau dessalée devrait atteindre 109 millions de m3/jour en 2016. Ainsi, la banque d’affaires Goldman Sachs estime à 5 milliards de dollars de chiffre d’affaires annuel de ce secteur, avec une progression attendue de 10 à 15 % par an.

La technologie de l’osmose inverse qui constituait 20% des unités de production au début des années 1980, s’impose aujourd’hui. Depuis 10 ans, les coûts de production du dessalement ont été divisés par deux. Selon les zones d’implantation, la nature de l’eau brute et le coût de l’énergie, le mètre cube produit coûte de 0,30 à 0,91 euros pour l’osmose inverse en sortie d’usine.
Le dessalement semble, par conséquent, s’imposer comme une solution immédiate et stratégique pour des pays soumis à une raréfaction des ressources en eau ou au stress hydrique. L’extraordinaire utilisation que fait l’Algérie du dessalement de l’eau de mer peut-il être un exemple pour tous les pays confrontés au manque de ressource en eau douce ?
Les ressources en eau de l’Algérie devraient "atteindre leurs limites à l’horizon 2020-2025".
"La crise du climat va aggraver la dégradation des ressources naturelles dans les hauts plateaux et toutes les régions steppiques qui constituent de véritables potentiels agricoles" devant "assurer la sécurité alimentaire" de l’Algérie

, a estimé M. Kara, Directeur de l’Agence nationale algérienne pour les changements climatiques.
Selon les prévisions du Centre de recherche de dessalement au Moyen-Orient l’Algérie devrait se classer derrière l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et les USA en termes de capacité de production d’eau potable à partir d’eau de mer.

L’Algérie confrontée à une situation critique

Les ressources hydriques de l’Algérie du Nord, où réside l’essentiel de la population, sont limitées . La situation est aggravée par une sécheresse qui perdure depuis une vingtaine d’années. La production d’eau potable destinée à la consommation des populations urbaine est aujourd’hui de 1,2 milliards de m3 soit une disponibilité moyenne par habitant, de seulement 100 l/j, Or à l’horizon 2020 la population va pratiquement doubler.
La demande de l’agriculture irriguée est considérable alors que partiellement insatisfaite : de l’ordre de 600 millions de m3 actuellement. A l’horizon 2020, si les plans de développement sont appliqués, la demande d’eau irriguée serait triplée.

L’Algérie souffre d’un manque d’eau criant : les aléas climatiques persistants, une forte croissance de la population dans les grands centres urbains ont largement contribué à l’actuelle carence des ressources en eau pour les besoins élémentaires du pays. En 2002, l’agglomération d’Alger fut confrontée à une pénurie. Les fortes précipitations des hivers 2002-2003 et 2003-2004, ont permis d’atténuer l’urgence. A Alger et pour l’ouest du pays, la sécheresse contraint à ramener la plage horaire de distribution dont bénéficie 70% de la population, de 16h/par jour à 8h/jour.

Dans le cadre du plan de relance économique initié en avril 2001 par le gouvernement, le secteur de l’eau représente une part importante des dépenses. Par exemple, un plan d’urgence exceptionnel pour la capitale 2002, de 115 M$ a été élaboré.
L’objectif est d’améliorer le service de distribution d’eau par l’engagement d’une réforme de la tarification ; la réduction des déperditions sur le réseau, estimées à 40% ; une mobilisation accrue des ressources ; et enfin la participation des opérateurs privés dans la gestion des réseaux d’alimentation en eau potable.
Le recours à l’eau de mer devient par conséquent une solution avantageuse dans un pays où les barrages ne parviennent pas à couvrir la totalité des besoins. Le programme initié en 2001 prévoit la construction de 43 stations de dessalement d’ici 2019, pour un investissement total de 14 milliards de dollars.

L’Etat algérien en a fait une priorité. La capitale de l’Ouest, Oran, et l’Oranie en général, souffrent depuis plusieurs décennies d’un dramatique déficit en eau potable. Le projet Mostaganem-Arzew-Oran, baptisé MAO, fut mis en service en 2009. La capitale de l’Ouest a besoin de 350.000m3/j d’eau potable pour la consommation de la population. Elle disposera désormais d’une station de dessalement d’eau d’une capacité de 500.000 m3 par jour, de quoi satisfaire les besoins en eau de 5 millions de personnes. Son coût, a été évalué à 468 millions de $. Le contrat d’exploitation prévoit le financement, la construction et l’exploitation du site jusqu’à la vente de l’eau dessalée.
Reste que le procédé qui permet de transformer l’eau de mer en eau douce est très gourmand en énergie, et donc coûteux, même l’usine de Makta présentée comme particulièrement rentable, facture le mètre cube d’eau environ 50 cents, ce qui représente un prix beaucoup plus cher que celui issu des barrages.

Un développement économique et technique sans faille de l’osmose inverse

Malgré cette limite, les acteurs gardent confiance en cette technique, dans la mesure où le besoin en eau potable excèdera nécessairement le coût énergétique de son traitement. Selon les prévisions de Media Analytics Limited (Global Water Intelligence),
« l’industrie du dessalement devrait atteindre 64,3 millions de litres par jour en 2010 et 97,5 millions en 2015. Cela représenterait une augmentation de capacité de 140 % depuis 2005. Cette expansion nécessiterait un investissement de 25 milliards de dollars d’ici 2010 et de 56,4 milliards de dollars avant la fin 2015. Suivant la tendance actuelle, plus de la moitié de ces investissements devraient être apportés par le secteur privé ce qui fait du secteur du dessalement la partie la plus internationale de l’industrie de l’eau, en plus d’être la plus axée sur la haute technologie ».


Une technologie pour les pays riches ?

WWF rappelle notamment que les usines de dessalement consomment beaucoup d’énergie et par conséquent émettent des gaz à effet de serre. Elle craint d’ailleurs que les nouvelles usines de dessalement d’eau de mer entraînent le déploiement d’installations de production d’énergie nucléaire. Un accord de coopération entre l’Algérie et la France pour le dessalement nucléaire a été signé en décembre 2007. L’impact sur l’écosystème marin et le devenir des sels rejetés en mer en sortie d’usine sont également des questions qui n’ont pas été approfondies.
« Pour le moment notre connaissance des impacts est en grande partie basée sur la recherche qui s’est limitée à des usines relativement petites et isolées les unes des autres »,

Or, les autorités publiques de l’eau et l’industrie du dessalement semblent s’orienter vers la création d’usines toujours plus grandes et reliées entre elles. En ce sens, l’Etat du Western Australia, en faisant construire l’usine de Perth, a émis une règle : l’électricité consommée par une usine de dessalement doit provenir d’énergie renouvelable. Cela signifie que les Etats s’engagent à ajouter à leur réseau de production d’électricité une ferme éolienne ou solaire d’une capacité équivalente à la consommation de leurs usines de dessalement.

De plus, sachant que cette technologie est encore actuellement très coûteuse, les usines construites aujourd’hui le sont pour longtemps et seront principalement déployées dans des pays riches et non dans des zones plus pauvres. En Californie, il est envisagé la construction de 200 usines de dessalement d’eau de mer, dont un site, près de San Diego, d’un coût de 300 millions de dollars. Plusieurs villes australiennes projettent de construire ou sont en train de construire d’immenses usines de dessalement – la plus grande, située près de Melbourne, devrait coûter dans les 2,9 milliards de dollars américains. Une solution afin de réaliser les Objectifs du Millénaire pour les populations non urbaines, mais côtières pourrait être le développement de mini-station de dessalement.

Il ne fait nul doute que la technique de dessalement de l’eau de mer représente une technique extraordinaire afin d’offrir aux populations toute l’eau potable dont elles ont besoins. Pour autant, le coût de construction d’une usine, très souvent accompagnée d’une usine de production d’électricité est trop élevé pour de nombreux Etats. La poursuite de l’exemple algérien n’est pas nécessairement possible. Bien que la politique de dessalement soit étrangère à ses richesses pétrolières, il va de soi que la manne d’argent créée par cette source fournit un formidable élan à une telle politique. L’économie algérienne est actuellement en plein développement, grâce principalement à la hausse sur les marchés mondiaux des prix du pétrole et du gaz des dernières années, et à la forte demande dans ces secteurs. L’Algérie s’est donc lancée dans le développement de ses infrastructures, grâce aux moyens financiers, qui doivent lui permettre de remettre le pays en marche après plus d’une décennie de troubles graves : autoroutes, barrages, usines électriques et de dessalement de l’eau de mer.

L’eau de mer permet de renforcer les Etats dans leur désir d’indépendance hydrique en diminuant ou en arrêtant ses importations d’eau de l’étranger. Il peut donc s’ensuivre une baisse les tensions entre les Etats. C’est le cas de Singapour par exemple. Il ne doit pour autant pas se créer une tension sur la question énergétique pour ceux qui devraient importer cette matière.
En outre, il faut louer les efforts faits en matière de recherche et de développement pour diminuer les consommations d’énergie et les rejets aux impacts environnementaux nocifs. Cependant, cette connaissance doit être accessible à tous. En effet, la question de l’accès potable ne doit pas se faire au prix de lourdes pollutions qu’elles soient maritimes ou aériennes.

L’autre limite au développement du dessalement à longtemps été son coût. Celui-ci est étroitement lié au coût de l’énergie. Pour Michel Dutang, « l’eau va devenir un problème crucial, qui butera sur le coût de l’énergie, indispensable au dessalement de l’eau de mer ou de l’eau saumâtre. »(28) Ceci constitue une des raisons principales pour laquelle la technique de l’osmose s’impose. En effet, la distillation nécessite 12 à 7 Kwh par mètre cube ; tandis que l’osmose nécessite 7 Kwh par m³ (29).Pour les techniques les plus performantes, cela ne peut nécessiter que 3 Kwh par m³, alors qu’il était de 20 Kwh par m³ dans les années 70 (30).
Bien qu’il ne soit pas toujours aisé de connaître l’impact réel des rejets liés à la production d’eau potable à partir de l’eau de mer, les premières études réalisées sur le sujet semblent montrer sa faiblesse. Jamie Pittock, directeur du programme eau douce du WWF note que
« les usines de dessalement doivent être construites seulement lorsqu’elles se sont avérées être la solution la plus efficace et la moins préjudiciable pour compléter l’approvisionnement en eau, à la suite d’un processus d’évaluation approfondi et transparent de toutes les solutions de rechange et leurs impacts environnementaux, économiques et sociaux. »

Enfin, les projets de dessalement devront, autant que possible, intégrer des logiques d’emplois, de développement de filières industrielles, de création d’entreprises. Il est par conséquent important de préparer des actions de formation, de transfert de compétence et de technologies pour former une main d’œuvre qualifiée, source d’intégration et d’acceptation des projets, mais aussi pour la bonne gestion dans la durée.

Source : Affaires-strategiques

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