jeudi 22 octobre 2009

Eau: le goût et le coût – article de l'hydrogéologue Thierry Helsens, installé au Mali depuis 2002


J'accompagne aujourd'hui une délégation malienne dans la Commune de Dandé à 65 km de Bobo-Dioulasso, au Burkina Faso, dans la province du Houêt. Commune rurale comptant au total 21.000 habitants dont le chef lieu est habité par une population de presque 10.000 personnes. L'objet de notre visite est la gestion du service de l'eau. Avec 4 bornes fontaines, 5 puits modernes et 5 forages équipés de pompes à motricité humaine, on pourrait imaginer que les problèmes d'eau sont, au moins partiellement, résolus. Il n'en est rien. Après une petite discussion avec le maire (qui en est à son premier mandat), son premier adjoint et le responsable du réseau, nous voyons que rien n'est simple quand il s'agit de goût et de coût.
Le réseau d'adduction d'eau
potable a été réalisé en 2006. Les six premiers mois tout a globalement bien marché, le chef de centre encaissait des recettes intéressantes (près de 650.000 FCFA le premier mois). Assez en tout cas pour assurer le fonctionnement, rémunérer les fontainiers et remettre un salaire décent au chef de centre. Manque de bol, au bout de ces six mois le forage connaît quelques problèmes: l'eau est épisodiquement trouble, à tel point que, progressivement, la population qui montrait quand même quelques réticences à payer le service de l'eau, se détourne complètement de celle du réseau. Retour donc aux puits modernes ou traditionnels et aux pompes manuelles, où l'eau est
gratuite (alors que l'eau du réseau est vendue 500 FCFA le m3 soit 0,75 euros).
Visite tout d'abord à la borne fontaine du marché, celle qui en principe devrait le mieux fonctionner, attirer le plus de clients. Je prends une calebasse d'eau au robinet, elle est claire, nous la goûtons à tour de rôle. Elle a effectivement un très léger goût d'argile mais bon, rien de scandaleux.
Ici je dois quand même ouvrir une petite parenthèse. On est surpris de constater à quel point les populations sahéliennes et surtout sahariennes sont sensibles au "goût" de l'eau. Un Maure par exemple sera capable de déceler une petite concentration de sel dans son thé et vous dira que votre eau est salée alors même que vous êtes largement dans les normes de potabilité de l'OMS (Organisation Mondiale de la Santé). Dans certains villages du Sahel les populations estiment que l'eau claire (celle du forage) n'a "pas de goût" et parfois y mettent même une petite poignée d'argile, histoire de...
Une chloration dans un réseau d'eau peut amener la population à se détourner de l'eau potable, le goût est jugé désagréable. Le fer, sans être nocif pour la santé (parfois il est même le bienvenu), donne à partir d'une certaine concentration un goût à l'eau, très vite décelé. En fonction de la rareté de la ressource en eau, il sera plus ou moins bien accepté. Enfin, pour la petite histoire, je connais des villages sahéliens au Mali où les ânes, après avoir été habitués à l'eau du forage, refusent de boire l'eau des puits!
Retournons à notre commune de Dandé, le problème est bien le goût de l'eau, par rapport à son coût. Les ressources alternatives (c'est-à-dire les ressources gratuites) sont nombreuses. Dans cette région où il pleut en moyenne 1200mm par an, les mois de saison des pluies voient parfois les gestionnaires de l'eau potab
le fermer carrément. Tout le monde va au champ et boit l'eau disponible sur place. Le niveau d'eau des nappes est élevé et le moindre puits de 3m ou 4m de profondeur vous donne de l'eau les 3/4 de l'année. Le problème, évidemment, est qu'elle n'est pas potable. Mais ça, les populations de Dandé ont apparemment du mal à le comprendre, ou à l'admettre.
Nous demandons aux femmes ce qu'elles pensent de l'eau du robinet. La réponse est immédiate: "Cette eau n'est pas bonne, nous n'en voulons pas, nous préférons l'eau de nos puits qui est claire et bonne". Boukary, le chef de centre est consterné: "Quand je dis à mes parents que l'eau de notre puits n'est pas potable, je me fais presque insulter car c'est celle qu'ils ont bue toute leur vie, celle que j'ai moi même bue enfant". Nous décidons d'aller voir le puits d'une de ces femmes, juste derrière la mosquée, à 200m du marché.
Y'a pas photo (enfin si, voi
r ci-dessus) le puits, et même le forage, donnent une eau fortement boueuse que les enfants boivent sans aucun problème et sans que nous le leur demandions. Le puits est complètement ouvert et doit ramasser à la moindre pluie l'ensemble des déjections animales (voire humaines). Les estomacs du village doivent être en béton, ou alors ceux qui restent sont les plus solides. La pompes manuelle, 100m plus loin, donne exactement la même eau boueuse.

Difficile dans le cas de cette commune d'arriver à sensibiliser la population aux problèmes de santé dès lors que le forage de l'adduction d'eau potable lui-même donne une eau douteuse (sans doute la conséquence d'un mauvais équipement du forage). Reste à faire un nouveau forage et à démontrer ensuite aux populations que l'eau du réseau est bien la meilleure pour la santé. En tout cas, c'est pas facile.

Source : Mali-blog

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