mardi 5 octobre 2010

L'eau au Pakistan

Contrairement à ce que l'actualité récente pourrait laisser croire, le véritable problème du Pakistan n'est pas l'excès d'eau. Au contraire, le pays manque d'eau au point qu'une guerre pourrait éclater dans un futur plus ou moins proche.
Les terribles inondations qui frappent actuellement le pays (et face auxquelles la réponse du gouvernement pakistanais et de la communauté internationale est bien trop lente) sont dues à une mousson particulièrement forte cette année. Au bout du compte, ce n'est qu'un caprice de la météo, un de ses phénomènes extrêmes qui se produisent une ou deux fois par siècle. Les manifestations varient selon les zones (blizzard, inondations, ouragans), mais aucune région du globe n'y échappe.
En réalité, la véritable menace qui pèse sur le Pakistan est la sécheresse: le pays s'assèche progressivement. Le système de l'Indus est la principale source d'eau accessible toute l'année pour le Pakistan et le nord-ouest de l'Inde. Malheureusement, les glaciers du plateau tibétain qui alimentent les divers affluents du fleuve fondent.
Pendant cette fonte, la quantité d'eau dans le système ne diminuera pas de façon remarquable, mais l'Académie des Sciences chinoise affirme que certains des glaciers auront déjà disparu d'ici 20 ans. Dès lors, le débit du fleuve se réduira irrémédiablement et les vrais problèmes arriveront.
Quand le Royaume-Uni a accordé l'indépendance à l'Inde et au Pakistan, en 1947, le système de l'Indus suffisait amplement à couvrir tous les besoins. Mais, entre-temps, on a observé une véritable explosion démographique, surtout du côté pakistanais où la population est passée de 34 à 175 millions, alors que le niveau d'eau, lui, n'augmente pas.
Le stock d'eau par individu au Pakistan est passé de 5000 mètres cubes par an en 1947 à seulement 1000 m3 aujourd'hui, un niveau qualifié de «préoccupant» par les Nations Unies. Quatre-vingt-seize pour cent de cette eau sert à l'irrigation, cependant que l'Indus a de plus en plus de mal à atteindre la mer.
D'ici 15 ou 20 ans, la pénurie d'eau (et, par conséquent, la pénurie alimentaire) sera l'obsession de la classe politique pakistanaise. Aujourd'hui déjà, elle a tendance à désigner l'Inde comme responsable de la raréfaction de l'eau dans le pays (et réciproquement, cela va sans dire). Lorsque l'eau viendra vraiment à manquer, la situation ne pourra que s'envenimer.
Ce problème pourrait virer au véritable confit pour une raison simple: cinq des six affluents qui composent le système de l'Indus traversent le Cachemire, sous contrôle indien, avant d'arriver au Pakistan. Certes, il existe depuis 1960 un traité qui définit le partage de l'eau entre les deux pays. Il prévoit que l'Inde exploite les trois rivières situées à l'est et que le Pakistan contrôle les trois autres. Mais ce traité n'est, en réalité, qu'une bombe à retardement.
Les trois rivières allouées à l'Inde ne représentent que 20 % de la quantité d'eau totale. Dès lors, pour que la part de l'Inde approche les 30 %, les arbitres de la Banque mondiale ont proposé d'amender le traité pour qu'il autorise l'Inde à prélever un certain volume d'eau dans deux des rivières sous contrôle pakistanais, en amont de la frontière. Certes, le Pakistan a accepté cet amendement, mais ce n'était pas de gaieté de cœur.
Et, de fait, le volume en question est tout à fait considérable (il permet d'irriguer 320 000 hectares) et il s'agit, qui plus est, d'un volume fixe, immuable quel que soit le débit des rivières! Imaginons la situation dans 20 ans: l'eau issue de la fonte des glaciers se tarit et le volume total du système de l'Indus se réduit de moitié par rapport à aujourd'hui. Détail important, cette diminution du débit concerne essentiellement les trois rivières sous contrôle pakistanais, les trois cours d'eau attribués à l'Inde n'étant pas tributaires des glaciers.
Résultat des courses: l'Inde dispose toujours d'autant d'eau, grâce à ses trois rivières, et elle continue de ponctionner autant qu'elle en a le droit les deux cours d'eau pakistanais dont le débit a pourtant fortement diminué, puisqu'ils dépendent de la fonte des glaces. Au final, la part de l'Inde augmente nettement (et en toute légalité), alors que le Pakistan sombre dans la famine.
L'Inde ne pourrait-elle pas prélever moins d'eau qu'elle n'y est autorisée? Soyons réalistes... Le problème alimentaire se posera aussi pour l'Inde, même s'il sera sans doute moins grave qu'au Pakistan. Si un gouvernement indien s'avisait de «distribuer» l'eau qui revient au pays, il serait rapidement chassé du pouvoir. Soit par le Parlement dans le cas d'une coalition fragile comme l'Inde en a connu beaucoup, soit par la voie des urnes au scrutin suivant dans le cas d'un parti unique inhabituellement discipliné.
Côté pakistanais, aucun gouvernement, civil ou militaire, ne peut rester les bras croisés alors que des terres irriguées depuis plusieurs siècles reviennent à l'état de désert et que des restrictions alimentaires sont imposées au pays tout entier. Ce serait d'autant plus impossible que les champs indiens, de l'autre côté de la frontière, seraient toujours aussi verdoyants. Voici donc la terrible menace de conflit qui pèse sur ces deux puissances nucléaires.
En attendant, des millions de Pakistanais ont vu leurs maisons submergées par les flots. En termes de souffrance humaine, c'est 20 fois pire que l'ouragan Katrina qui a frappé les États-Unis il y a cinq ans. C'est pourquoi il y a urgence à prendre des actions à la mesure des dégâts. Malgré tout, l'avenir s'annonce plus sombre encore pour le Pakistan (et pour l'Inde), à moins que les deux pays ne se penchent dès à présent sur une révision de ce traité vieux de cinquante ans - avant que la crise n'éclate.

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