samedi 19 décembre 2009

Le scandale de la faim

Les récents sommets internationaux ont peu mobilisé les politiques et les médias. Pourtant, la situation s'est encore aggravée depuis les grands engagements du millénaire. Peut-on vraiment se résigner? Selon Jacques Serba, ancien président d'Action contre la faim, et Pierrick Le Jeune, chercheur en relations internationales, la situation est grave, mais une réelle volonté politique pourrait améliorer le sort des plus démunis.

En 2002, Jacques Diouf (Directeur général de la FAO, Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture) écrivait: « Il est dans l'intérêt de tous, riches et pauvres, de tout faire et rapidement pour instaurer un monde plus équitable, pour éliminer la faim chronique et ses stigmates, le désespoir et la résignation. »
La résignation? Comment se résigner à avoir faim ? Ne s’agit-il pas plutôt de la colère à la lecture des objectifs affichés lors des sommets intergouvernementaux sur la sécurité alimentaire et des résultats obtenus ?
Pour s’en convaincre, il n’est pas inutile de revisiter les objectifs :
- Objectifs du millénaire, septembre 2000: « Nous décidons en outre de réduire de moitié, d'ici à 2015, la proportion (…) des personnes qui souffrent de la faim ».
- Sommet de la FAO juin 2002: « … notre objectif commun: éradiquer la faim dans un monde où elle devait avoir disparu depuis longtemps (...) réduire de moitié d'ici l'an 2015 le nombre de personnes souffrant de la faim ».
- Conférence de haut niveau sur la sécurité alimentaire mondiale, juin 2008: « ... un effort permanent d'élimination de la faim dans tous les pays, en vue, dans l'immédiat, de réduire de moitié le nombre de personnes sous-alimentées pour 2015 au plus tard ».
- Sommet sur la crise alimentaire de Madrid, 26 et 27 janvier 2009 : « préparer une feuille de route destinée à lutter plus efficacement contre la faim ».
- Sommet de la FAO, du 16 au 18 novembre 2009 : « une étape importante dans la réalisation de notre objectif commun: un monde libéré de la faim » .

Quels objectifs solennels : lors du sommet de la FAO de 2002, sur les 180 pays participants, 160 étaient représentés au moins par un ministre ; 181 pays étaient à nouveau présents en 2008 et le sommet de Madrid de janvier 2009 était co-présidé par le Secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-Moon, et José Luis Zapatero ; en novembre 2009, 60 chefs d'Etat et de gouvernement et 191 ministres de 182 Etats membres de la FAO et la Communauté européenne ont participé au Sommet de Rome.
Quels objectifs généreux quand on pense aux images d'enfants décharnés atteints de marasme ou de kwashiorkor!
Quels objectifs ambitieux, lorsque l'on se souvient qu'en 2000, la FAO évaluait la population sous-alimentée à 840 millions!
Mais quel échec terrifiant, lorsqu'on découvre les dernières évaluations de la FAO: la terre porte aujourd'hui 1 milliard de personnes sous-alimentées, c’est-à-dire autant que dans les années 70.
Et quel cynisme, si l'on rappelle que les retards pris ne sont pas d'ordre administratif: chaque année passée, chaque année de retard ce sont près de 5 millions d’enfants qui meurent de faim!
Le sommet de Rome de novembre 2009 qui, a exprimé « l’engagement ferme de redoubler d'efforts pour atteindre le premier des Objectifs du Millénaire pour le développement consistant à réduire de moitié la faim dans le monde d'ici à 2015 et à l'éradiquer le plus vite possible », sera-t-il un sommet de plus? Ou sera-t-il enfin le sommet non plus des annonces mais de l’allocation de moyens ? On peut en douter en l’absence des chefs d’Etat des pays les plus riches ; on peut craindre le pire alors même que selon Action Contre la Faim (ACF) et Médecins Sans Frontières (MSF) « il est possible de soigner la forme la plus meurtrière de la malnutrition à l’aide d’aliments thérapeutiques prêts à l’emploi » et que seuls « 3 milliards d’euros sont nécessaires immédiatement pour s’attaquer efficacement à la malnutrition aiguë sévère dans le monde.» Autrement dit rien face aux milliards engloutis dans la crise financière et économique.
La résignation? Les images des révoltes de ceux qui se battent pour manger dans les villes ne contredisent-elle pas l’analyse de Jacques Diouf ?
En fait, ce qui est symptomatique, c’est que l’on qualifie péjorativement « d’émeutes de la faim » la figure urbaine, sociale et politique de la faim, la révolte de ceux qui revendiquent pour satisfaire leurs besoins alimentaires et leur droit à l’alimentation. Comme si c’était nous qui avions fini par nous résigner à ne voir que deux figures de la faim : l’approche statistique et froide des Etats, le regard compassionnel des ONG.
L’abbé Pierre aimait à dire qu’il faut toujours donner un objet à sa colère. N’est-ce pas ainsi qu’il nous faut parler de la révolte de ceux qui ont faim?

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